
L'icone de syndication de contenu (détail).
On la voit fleurir un peu partout, mais il semble que nous soyons assez peu aujourd’hui à en connaître le sens et à exploiter la technologie qu’elle propose. Retour sur la genèse, les handicaps et l’étonnante prolifération de la feed icon ou icone de syndication de contenu web, parfois nommée “icone RSS”. Billet posté initialement le 8 janvier 2009 sur mon précédent blog.
Deux courbes semblent émaner d’un point, telles des ondes. Le tout est généralement blanc et s’inscrit sur un carré orange aux coins arrondis. Derrière, quelques reflets évoquent un bouton. C’est la feed icon. Ce pictogramme — qui est souvent un signe passeur — signale la présence d’un flux de syndication de contenu web, auquel on peut généralement s’abonner.
Si ce pictogramme pullule actuellement de blogs en plateformes web, de navigateurs en agrégateurs et logiciels divers, les internautes suivent-ils le mouvement ? Outre-Atlantique, selon une étude récente, les flux ne seraient exploités en toute conscience que par un internaute sur dix. Les autres internautes américains ne seraient que 17 % à souhaiter en savoir plus à son sujet [1].
Bien qu’il soit envisageable (dans une certaine mesure) qu’un internaute profite de la syndication web sans le savoir, je ne suis pas surpris d’apprendre qu’il existe un décalage plus que net entre les attentes des uns et les usages des autres. Mais avant de déclarer, fataliste, que cette technologie n’intéressera jamais beaucoup de monde, compte tenu de son immense intérêt et de ses multiples implications actuelles, il me semble intéressant de se pencher sérieusement sur la feed icon et, globalement, sur la façon de proposer la syndication de contenu.
Fondements d’un sésame vers l’inforichesse
Le premier format de syndication RSS a déjà dix ans [2]. Le pictogramme qui nous intéresse, lui, n’est apparu que dans la première version du navigateur Firefox, sorti en novembre 2004 ; il y indiquait les marque-pages dynamiques (Live Bookmarks [3]).

Travaux graphiques préparatoires au navigateur Firefox, septembre 2004. Après avoir affiné le dessin du R de RSS (en haut à gauche), le sigle est finalement jugé abscons et réducteur. Stephen Horlander conçoit alors la fameuse feed icon : esquisses au centre (mises en ligne par un collègue de Horlander, Kevin Gerish, sur son blog), version finale en bas à droite (Fondation Mozilla).
Conçu par Stephen Horlander, le pictogramme visait à répondre à plusieurs problèmes : le sigle « RSS », qui apparaissait initialement à la place du dessin blanc, a été jugé non seulement abscons (« too geeky ») mais aussi inapproprié : il recouvrait implicitement un format de syndication récent, nommé « Atom », or celui-ci n’est pas un format RSS à proprement parler. En outre, malgré la taille du rectangle orange jugée déjà trop importante sur l’interface de Firefox, il était redouté que le petit « RSS » soit lu (d’un trait) « ASS » [4] .
Environ un an plus tard, en octobre 2005, Microsoft cherchait à son tour un symbole pour représenter dans Internet Explorer 7 la syndication web (pistes graphiques ci-contre, à droite). Les exigences : d’abord, il devait exprimer les caractéristiques importantes des flux (nouveauté, activité, abonnement et information continue) ; ensuite, il devait s’appuyer sur la façon dont on annonçait alors communément les flux : le rectangle orange ; enfin, il devait s’affranchir de tout texte en son sein, toutefois le texte était jugé très important pour accompagner l’icone, dans un langage simple. Le recours à une image et l’abandon des mentions « Atom », « Feed », « RSS » ou autre « XML » visait à vulgariser [et diffuser] le plus largement possible le principe de la syndication web [5].
Certaines pistes graphiques de Microsoft avaient une parenté flagrante avec les ondes de Firefox, ce que Microsoft a bien compris. À la mi-décembre, Microsoft annonçait s’être finalement mis d’accord avec la Fondation Mozilla (d’où émane Firefox) pour que tout le monde puisse utiliser le pictogramme de Stephen Horlander, y compris Microsoft évidemment. Ceci afin que l’offre de syndication web apparaisse de la même façon aux internautes passant d’un navigateur à un autre [6]. En février 2006, Opera Software annonçait à son tour la reprise du pictogramme dans son navigateur Opera 9.
Tardivement, en mars 2006, l’utilisation de la feed icon a été également recommandée par les membres du RSS Advisory Board (groupe d’experts chargé des spécifications RSS, fraîchement relancé). La proposition de recommandation soumise au vote du RSS Board suggère que la faible utilisation des flux (4 % des internautes, étude Yahoo!/Ipsos à l’appui) serait largement due à la multiplicité et au manque de clarté des représentations et appellations correspondant à la mise à disposition de la syndication web [7].
Indispensable, le texte informatif est souvent aux abonnés absents
Le recours à un symbole unique semble être une bonne chose pour la promotion de la syndication web. Mais pour faciliter le repérage par l’internaute de flux mis à sa disposition ici ou là ; pas pour expliquer son principe, ses atouts et éventuellement ses limites [8]. En remplaçant un texte abscons par un symbole nouveau pour désigner un service nouveau, n’est-on pas passé d’un hermétisme à un autre, voire à quelque chose de plus hermétique encore ?
En effet, comment faire rapidement une recherche, que ce soit dans l’aide d’un logiciel ou sur Internet, sur la signification d’une image ? Et l’icone pose d’autant plus problème qu’en la regardant de près, je peine à y saisir les spécificités de la technologie annoncée [9]… Le pictogramme adopté pourrait aussi bien servir à symboliser le principe d’un média de masse classique, la radio par exemple [10].
Le pictogramme de la Fondation Mozilla, utilisé bien plus largement que prévu, serait donc à revoir ? Si oui, il serait sans doute préférable d’attendre. La tâche s’annonce peu aisée, comme tendent à le montrer les pistes graphiques de Microsoft [5]. Face à une technologie si abstraite et dont les usages ne font que naître, la priorité semble être le développement de l’information à côté du carré orange, comme on semble le souligner lourdement chez Forrester [1], entre autres [11]. C’est bien ainsi que les choses ont été pensées par certains protagonistes de l’histoire de la feed icon : s’il fallait chasser le texte du bouton, c’était pour mieux le retrouver à proximité, autant que nécessaire. Car une mention laconique telle que « abonnez-vous » ne dit pas grand-chose sur ce qui est proposé, ni sur les pré-requis pour en profiter pleinement : quel protocole de syndication choisir : RSS 0.90, 0.91 ou 2.0, Atom ? Une question bien difficile pourtant fréquemment et trop rapidement posée à l’internaute curieux, qui fait ainsi les frais de l’histoire tourmentée de cette technologie). Quel outil utiliser pour collecter ses flux (Netvibes, iGoogle…) ? Sur quels critères se fonder pour choisir cet outil ? [12]
Quand les blogueurs adoptent le bonbon orange…
Il reste aussi la question du petit nom fiable et définitif à trouver à cette technologie, à moins qu’on en reste durablement à “RSS”… Malgré les nombreux problèmes — didactiques, mais aussi de propriété intellectuelle ; je ne m’étendrai pas sur ce dernier aspect — entourant la syndication web, l’histoire de la feed icon est loin d’être intégralement noire. C’est même une histoire émouvante, dont on pourrait tirer plus d’une leçon de communication.
Parce que c’était une image sympathique (avec ses reflets, ses rondeurs, son côté eye candy) ; parce qu’elle pouvait être utilisée et modifiée librement (en fermant plus ou moins les yeux sur les recommandations de la Fondation Mozilla [13]) ; sans doute aussi parce qu’un site s’est rapidement proposé de le promouvoir [14] ; et pour je ne sais quelle autre raison encore, le pictogramme a au moins fait l’objet d’une étonnante appropriation et même d’une adoption de la part des blogueurs.
Nous sommes partis, à compter de la fin des années 1990, d’une grande variété d’invitations textuelles et/ou graphiques à s’abonner à un site (exemples ci-contre, tirés d’une démonstration faite au RSS Advisory Board) [7], pour nous trouver aujourd’hui face à une nouvelle diversité : les mille et mille formes de la feed icon [15]. Cependant, cette diversité-là a au moins un dénominateur commun, essentiel : ce point et ses ondes. Et loin de constituer un frein (c’est en tout cas mon avis), la créativité dont témoignent par ailleurs les nombreuses déclinaisons vues sur la Toile de ce pictogramme me semble au contraire favoriser, d’une façon souvent nouvelle, la curiosité de l’internaute à son égard. À la fois icone à la mode et soumise à la mode du web design (tantôt glossy, tantôt 3D, tantôt les deux et bien d’autres choses), cette diversité témoigne aussi d’un intérêt, d’une empathie du blogueur à l’égard de image et de cette technologie. Une technologie qui lui permet notamment — avec l’abonnement par e-mail — de gagner, quantifier et fidéliser un lectorat. De blog en blog, je m’amuse à voir quelle taille et quelle forme prendront les feed icons.
Il ne fait aucun doute que cette « technologie clé » [11], son adoption et ses usages envolueront grandement, à l’image d’internet. Et parallèlement, il est à peu près certain que, pour des raisons apparemment futiles ou plus sérieuses, la feed icon connaîtra bien d’autres évolutions et déclinaisons.
- Steve Rubel, « RSS Adoption at 11% and it May Be Peaking, Forrester Says », Micropersuasion.com, 20/10/2008.
- « History of web syndication technology », Wikipedia ; Frédéric Laurent, « RSS : dates essentielles », 15/03/2004 (+ mises à jour jusqu’en janvier 2008), Opikanoba.org.
- Pour plus d’informations sur les Live Bookmarks.
- « 2004-09-26 Branch builds », 26/09/2004, The Burning Edge (Squarefree.com). Cf. plus particulièrement sur Bugzilla le traitement des bugs n° 256088 (sur le format Atom) et 261354 (sur la confusion RSS/ASS). Autre page intéressante pour lier les deux bugs entre eux et mesurer l’importance de chacun dans la genèse de l’icone (en cache depuis Google), sur le blog de Kevin Gerich, collègue de S. Horlander.
- Jane, « The orange icon… », 08/10/2005, MS RSS Blog.
- Jane, « Icons: It’s still orange… », 14-15/12/2005, MS RSS Blog.
- Rodgers Cadenhead, « Proposal: Support the Common Feed Icon », 04/03/2006, et « Vote: Support the Common Feed Icon », 20/03/2006, RSSboard.org.
- Pour mémoire concernant les limites : Astrid Girardeau, « Ces flux RSSponsables (et coupables) », 01/03/2008, Ecrans.fr.
- Je suppose que les ondes semblant émaner d’un point émetteur, symbolisées sur ce logo, font référence au nom pris un temps par le projet Atom : « Echo » ?
- Cf. à ce propos le logo du site RSSvox.
- Olivier Ertzscheid, « RSS : Révolution Surestimée ou Sous-exploitée ? », 16/01/2008, Affordance.info.
- En guise de pied à l’étrier, l’initiative francophone que constitue le blog ifeedgood.com est à saluer. Voir aussi cette vidéo de 3 mn (YouTube).
- Source.
- Il s’agit du site de Matt Brett, feedicons.com.
- Voir quelques exemples parmi bien d’autres sur cette page. Certes, tous les blogs ne la portent pas…