Je n’ai pas vraiment suivi de près les championnats d’Europe d’athlétisme de Barcelone, dans le cadre desquels les sportifs Français ont pourtant particulièrement brillé. Toutefois, certaines retransmissions télévisées sur lesquelles je suis tombé ont été l’occasion d’apercevoir de nouveau des photos finish, ces images étranges issues d’une technique photographique particulière. Je suis allé satisfaire (en partie) ma curiosité envers ces images sur internet.
Mon intérêt pour les photos finish est bien différent des raisons pour lesquelles on créé et convoque ces images à l’écran [1]. Devant le téléviseur, je dois d’ailleurs me dépêcher d’éprouver ma petite curiosité décalée, inappropriée ; dans ces émissions sportives, on ne s’attarde pas franchement sur une photo finish autant que le ferait Alain Jaubert sur une œuvre d’art dans ses fameuses émissions Palettes. Et comme l’a écrit Roland Barthes à propos du cinéma, avec la télé « je suis astreint à une voracité continue »… vis-à-vis des images qui suivent [2].
Ce temps bref est toutefois suffisant pour déterminer que mon intérêt est d’abord suscité par les déformations des corps qu’on peut observer sur ces photos-là. Mais où et comment obtenir ces images et les regarder en détail, tranquillement ? Internet, bien sûr. Après une petite recherche, je découvre que le site Sportresult.com donne accès aux photos finish des championnats d’Europe, en haute définition s’il vous plaît (1920 × 1200 pixels). Je retrouve ainsi cette image qui avait, la première, piquée ma curiosité : la photo finish de la finale du 100 mètres femmes. Je peux à présent la regarder aussi longuement que je le souhaite. Je peux l’enregistrer et en faire un fond d’écran — plus intéressant que les fonds d’écran de la “fan zone” du site officiel de ces championnats, qui mettent en scène une ridicule mascotte à grosse tête.

Photo finish de la finale du 100 mètres femmes des championnats d'Europe d'athlétisme, Barcelone, le 29 juillet 2010 à 21h45. Cliquer sur l'image pour la voir en grande taille sur Sportresult.com.
Les photos finish auraient commencé à être utilisées dans des compétitions d’athlétisme lors des Jeux Olympiques de 1948 selon Omega, dès les Jeux de 1932 selon une autre source. Une troisième source évoque quant à elle des « balbutiements » de photo finish dès les Jeux de 1912, mais indique comme Omega qu’elle se serait imposée comme « une donnée indispensable du chronométrage » seulement après la Seconde Guerre mondiale. Il faudrait creuser, tout cela ne s’est probablement pas fait en un jour…
Dans une photo finish telle que disponible aujourd’hui sur le site Sportresult.com, il y a du retrait et de l’ajout. Exit, comme à la télé, la graduation en bas de l’image [3]. En bonus, le bandeau en haut de cadre, les logos, les drapeaux et diverses données chiffrées : vitesse du vent, temps officiel des trois premiers… Il convient donc de faire son marché, un peu comme on finit par ignorer systématiquement certaines chansons peu appréciées d’un album musical.
Pour ma part, je considère avant tout la photo et plus particulièrement ces figures humaines qui semblent survoler la piste ; ces bipèdes aux bras et aux jambes déployés, en plein effort ou le relâchant à peine. C’est évidemment un moment de sport très intense, un acmé qui est ici systématiquement fixé. Un moment dont le caractère exceptionnel est comme accru par ces déformations que chacun peut observer. Pourquoi au juste de telles déformations ? La technique la plus commune de la photo finish, à situer quelque part entre la photographie et le cinéma, est expliquée en quelques mots sur Wikipedia, entre autres :
« La photo-finish n’est pas une photo instantanée de l’arrivée, mais une représentation temporelle de ce qui se passe dans l’axe de la caméra, parfaitement calé sur la ligne d’arrivée. L’image fournie par cette caméra est découpée pour ne garder que la bande centrale (la ligne d’arrivée). Cette image fait 1 pixel de large [...]. À chaque millième de seconde, le cadenceur du chronographe ajoute la bande centrale de l’image (1 pixel) à la suite de l’image précédente, créant une image non instantanée mais une sorte de “déroulant” du temps. Ceci explique l’aspect “déformé” des images produites par les caméras de photo-finish. » [4]
Devant une photo finish, l’une de mes deux principales tendances est l’admiration de leur beauté — bien que cette beauté soit loin d’être systématiquement et uniformément présente. Les membres des coureurs, surtout les jambes, sont comme automatiquement « stylisés », de façon étonnante. On remarque que la dernière jambe à franchir la ligne est souvent plus étirée que l’autre, ce qui paraît logique ; l’athlète décélérant après le franchissement de la ligne, la première jambe franchit plus rapidement cette ligne que la seconde, qui reste plus longuement dans le champ de l’appareil (ce n’est toutefois pas toujours le cas). Les photos finish provoquent souvent chez moi des souvenirs artistiques : les musculatures exagérées de Michel-Ange ; les anamorphoses (non corrigées ou imparfaitement corrigées), comme sur le fameux crâne de Hans Holbein le jeune sur son tableau souvent nommé Les ambassadeurs ; les chevaux du Derby d’Epsom de Théodore Géricault ; certains découpages d’Henri Matisse… Dans le champ de la photographie, on peut penser à la déformation du fameux cliché du Grand prix de l’ACF, de Jacques-Henri Lartigue… et à bien d’autres choses encore.

Photo finish de la finale du 200 mètres femmes des championnats d'Europe d'athlétisme, Barcelone, le 31 juillet 2010 à 19h50 (détail). Arrivée dernière des athlètes qualifiés, la russe Yuliya Chermoshanskaya (à gauche) a franchi la ligne d'arrivée en posant le pied dessus ; le pied gauche apparaît flou et démesurément long. Au premier plan : la Française Lina Jacques-Sébastien, ici superbement saisie (elle avait toutefois posé le pied sur la ligne dans la 3e course des séries du 200 mètres, avec le triste résultat que vous devinez). Cliquer sur l'image pour la voir en grande taille et en intégralité.
Mon autre tendance est de sourire, car certaines déformations ou superpositions d’athlètes peuvent s’avérer vraiment grotesques. Il y a ce cas particulier de l’athlète qui franchit la ligne d’arrivée en posant le pied sur ladite ligne : la chaussure demeurant plus longtemps dans le champ étroit de l’objectif de l’appareil, celle-ci gagne considérablement en pointure (un exemple ci-contre)…
Ces documents que sont les photos finish contemporaines conservent cependant à mes yeux une part de mystère. Doit-on à la surexposition le fait que la piste y paraisse presque blanche ? Si l’on ne capture qu’une mince bande de réalité correspondant à ce qui passe dans l’axe de la ligne d’arrivée, comment peuvent apparaître les « panneaux » publicitaires à l’arrière plan tel qu’on les voit sur la première photo ci-dessus ? Un autre mystère : Bernard Faure rappelait dans une interview [3] que le temps officiel de l’athlète « correspondra au moment précis où ses épaules franchissent la ligne. La performance est mesurée uniquement avec les images du film de la course, que l’on développe immédiatement après l’arrivée. La photo finish est analysée par les juges, qui valident le temps » [5]. Comment expliquer alors que les minces lignes rouges verticales, elles aussi ajoutées sur les photos finish, soient calées sur la limite avant de la poitrine des athlètes, et non sur une épaule ?
En attendant de pouvoir répondre à ces petites questions, coureuses et coureurs appelés à apparaître sur une photo finish, pour la postérité, pensez à bien bomber le torse et surtout, surtout, évitez de poser le pied sur la ligne d’arrivée.
Note(s) :- Selon l’ex-marathonien et commentateur sportif Bernard Faure, les photos finish à la télé « servent surtout à animer l’antenne ». « Le problème, ajoute-t-il, c’est que le téléspectateur ne distingue pas bien les petites bornes figurant la ligne du temps, placées tout en bas de l’image, et qui permettent de voir l’évolution du chronomètre au millième de seconde près sur l’aire d’arrivée. » Richard Sénéjoux, « Pourquoi les photos finish sont-elles incompréhensibles ? », Télérama, n° 3108, version en ligne datée du 15 août 2009. Les repères en bas d’image dont il est question peuvent être aperçus ici (télécharger l’image proposée en bas de page).
- Roland Barthes, La chambre claire. Note sur la photographie, Cahiers du cinéma – Gallimard – Seuil, 1980, p. 90.
- Voir la première note de bas de page.
- Selon la version anglaise de l’article consacré à la photo finish sur Wikipedia, il existerait en fait deux méthodes distinctes ; celle qui est décrite ci-dessus est la plus courante.
- C’est moi qui souligne.