Clik here to view.

Capture de Fr.yahoo.com, le 11 octobre 2010.
Devant les images de quelques sites internet dédiés à la couverture de l’actualité, je m’interroge sur certains choix éditoriaux : l’adoption de formats très horizontaux et certaines modalités d’association d’images et de textes ou d’icones.
En préambule, rappelons un fait historique, bien qu’il soit sans doute assez réducteur de le présenter ainsi : les images des publications dédiées à l’information sont d’abord là pour capter l’intérêt du lecteur et pour « faire joli » [1], l’un n’étant d’ailleurs pas à distinguer toujours de l’autre. En complément de ces missions principales, l’historien de la photographie André Gunthert (EHESS) évoquait également le rôle de l’image dans la structuration de l’information [2]. Tentons de toucher un peu tout cela du doigt sur certains sites d’information français ou francophones, mais à un niveau plus micro (ce qui se passe autour et sur l’image) que macro (l’ensemble de la page, l’ensemble du principe de mise en page d’un site).
Un format horizontal très tendance
Autour d’un verre, il y a quelques semaines, j’ai posé la question suivante à Didier, autre contributeur de Culture visuelle et grand utilisateur du format panoramique pour ses photographies : à ton avis, pourquoi le format des images des sites d’information en ligne est-il souvent si allongé horizontalement ? Sa réponse fût immédiate : il s’agit pour lui de limiter au maximum l’allongement vertical de la page ; les contenus doivent apparaître à l’internaute sans avoir à « scroller » [3] ou le moins possible.
Ayant constaté ce recours fréquent à des formats se déployant fortement à l’horizontale pour les illustrations des articles proposés (cf., à des degrés divers, Lefigaro.fr, Lemonde.fr, Liberation.fr, Rue89.com, Yahoo.fr, 20minutes.fr…), j’avais songé à plusieurs explications, dont celle mentionnée par Didier. Mais peut-être y en a-t-il d’autres ? Je vois en tout cas d’autres avantages à l’utilisation d’un tel format, que ceux-ci soient à l’origine d’un tel choix ou non :
• Se marier au mieux avec les textes environnants, à commencer par les titres. C’est une préoccupation de mise en page courante : dans le monde du papier comme dans celui de l’écran, les titres peuvent s’étaler sur plusieurs colonnes mais ils ne peuvent pas dépasser une certaine longueur, sauf à être considérés comme de mauvais titres. L’image principale d’un article, souvent proche du titre, doit avoir un format susceptible de générer le moins possible de blancs. Idéalement, l’image de presse en ligne doit donc se rapprocher par sa largeur et par sa hauteur d’une utilisation moyenne de l’espace d’un texte bref et écrit gros, éventuellement accompagné d’une accroche et de quelques autres petits éléments [4].
Clik here to view.

Capture de Lemonde.fr, le 19 décembre 2010.
Clik here to view.

Capture de 20minutes.fr, le 19 décembre 2010.
• Autre hypothèse justifiant l’adoption d’un format (très) horizontal : conférer aux informations souvent peu réjouissantes une forme évoquant les loisirs, en ayant recours à un format d’image identique ou proche de celui du cinéma (dérive formelle vers l’infotainment). Ceci peut contribuer, dans une certaine mesure, à limiter le désintérêt des citoyens vis-à-vis des actualités… On peut également penser au format, moins prononcé horizontalement que le procédé Cinémascope, des téléviseurs en vente aujourd’hui (ratio de 16:9). N’oublions pas non plus les écrans d’ordinateur d’aujourd’hui, plus larges qu’hier, toujours au nom du multimédia (jeu vidéo, visionnage de films). Quoi qu’il en soit, il me semble difficile de ne pas voir dans ce format d’image un format à la mode. Et avec un peu d’audace, nous pourrions envisager de relier cette tendance du recours au format horizontal à la place croissante prise par l’actualité « people » parmi les contenus des titres de presse…
On le voit, les formats d’image très horizontaux peuvent présenter différentes formes d’intérêt pour l’éditeur [5]. Mais c’est également un type de format très contraignant, et toutes les photos ne se prêtent pas si facilement à un recadrage selon ce type.
La dérive « people » (au sens large), par exemple, amène volontiers ces sites à proposer des portraits de personnalités, or les visages des stars sont, comme les nôtres, plutôt verticaux (pas de « déformation professionnelle » à espérer de ce point de vue !). Aussi, reproduire un visage dans un format très horizontal nécessite de le reproduire en petite dimension dans le cadre (généralement au centre), et/ou à le reproduire partiellement [6]. Cette relative inadéquation entre contenus reproduits et format présente au moins trois types d’inconvénients. Du plus anecdotique au plus fâcheux : d’abord, le visage peut être édité de façon assez inélégante, ce qui est loin d’être rare à mon sens ; ensuite, la partie intéressante de l’image peut ne représenter en fait qu’une surface très faible ; enfin, la reconnaissance de la personnalité reproduite peut être plus ou moins compromise : le visage est trop petit (surtout lorsqu’il est réduit à l’état de vignette) ou bien le front ou le menton manquent plus ou moins cruellement s’agissant d’identifier quelqu’un.
Clik here to view.

Capture de Liberation.fr, le 19 décembre 2010.
Clik here to view.

Capture de Liberation.fr, le 19 décembre 2010.
Pour la bonne bouche, cette reconnaissance est particulièrement compromise lorsqu’au choix d’un format très horizontal est associé un automatisme de redimensionnement pour le moins perfectible :
Clik here to view.

Capture de News.fr.msn.com, le 11 octobre 2010.
Bien d’autres images sont susceptibles de poser problème, à commencer par toutes les photographies prises à la verticale. Nous en avons peut-être un exemple ci-dessous, dont Rue89.com s’accommode assez curieusement, non sans humour :
Clik here to view.

Capture de Rue89.com, le 19 décembre 2010.
Le format horizontal peut donc présenter un intérêt au plan de la mise en page d’un site, mais convenir assez mal à certains contenus fréquemment reproduits. Trop horizontal, il me semble même constituer un critère de sélection qui peut amener l’éditeur à écarter de nombreuses images pertinentes, pour une raison assez mauvaise du point de vue de la qualité de l’information. Ou à les éditer malgré tout mais de façon peu satisfaisante.
L’espace de l’image surinvesti
Évoquons plus rapidement un autre phénomène récurrent associé aux images des sites d’information, qui peut être considéré isolément ou en articulation avec ce qui précède : les textes (ou icones) qui accompagnent les images ne sont pas toujours à la périphérie de l’image, ils sont parfois sur l’image elle-même.
Placée en haut ou au bas de l’image, une bande sombre porteuse d’un texte peut venir masquer une partie de l’image (avec un taux d’opacité variable) et accentuer le caractère souvent horizontal de sa présentation. Je remarque que l’ajout de ce texte sur une image ne semble pas toujours pensé par l’éditeur lui-même lors de la sélection ou du recadrage de l’image sous-jacente.
Clik here to view.

Capture de News.fr.msn.com, le 11 octobre 2010.
Clik here to view.

Capture de Fr.news.yahoo.com, le 11 octobre 2010.
L’annonce de contenus vidéo sur les pages de ces sites me paraît particulièrement concernée. Il semble que l’éditeur souhaite mettre l’accent sur le fait que ce qui est proposé est une vidéo, non une photographie. L’annonce de la nature du média proposé, par un bouton en forme de flèche qui « cache tout ce qu’il veut montrer » (pour paraphraser Serge Gainsbourg), vient se superposer au vidéogramme en tant qu’extrait du contenu enregistré. Et les visages des vidéogrammes de se retrouver, là encore, partiellement masqués.
Clik here to view.

Capture de News.fr.msn.com, le 11 octobre 2010.
Clik here to view.

Capture de Voici.fr, le 11 octobre 2010.
Clik here to view.

Capture de Lepoint.fr, le 19 décembre 2010.
Ces remarques ont ça et là les allures d’un bêtisier, ce qui m’a semblé de saison. Mais sont néanmoins soulevées ici d’assez sérieuses et importantes questions pour une presse en crise : telles que convoquées sur de nombreux sites, les images jouent-t-elles vraiment le rôle de capteur d’attention ou d’enjoliveur qu’on en espère ? Triées sur le volet de façon à s’adapter, tant bien que mal, à un format horizontal inutilement contraignant, recadrées avec plus ou moins de bonheur (automatiquement ou non), tronquées, masquées parfois en leur centre même, permettent-elles de s’informer correctement ? Agrémentent-t-elles vraiment un site ? Donnent-t-elles envie de cliquer, de lire ou de visionner et, au bout du compte, de s’abonner ? Parfois oui, parfois non. La réponse peut varier d’un site, d’un dispositif, d’une page à l’autre, selon la mise en page et les choix iconographiques qui sont observables. Pas de doute, du point de vue de la convocation des images, le journalisme en ligne n’en est encore qu’à ses balbutiements, sur un média web plutôt récent, il est vrai.
Note(s) :- Évoquant les articles issus des travaux du colloque de l’EHESS « La trame des images. Histoires de l’illustration photographique » (20-21 octobre 2006), Thierry Gervais et André Gunthert estiment que « [...] l’ensemble des contributions converge pour reconnaître dans la dimension esthétique le ressort fondamental du recours à l’image dans le contexte de l’information » (cf. Études photographiques, éd. Société française de photographie, n° 20, juin 2007, p. 3).
- Extrait : « On ne peut [...] considérer le rôle médiatique de la photographie seulement du point de vue de son apport documentaire : l’image joue un rôle de premier plan dans la structuration éditoriale, de façon quasi architecturale ». « L’échelle de l’information », L’atelier des icônes, 23 avril 2010.
- Cet anglicisme désigne l’utilisation de « l’ascenseur », un bouton glissant proposé en marge de la fenêtre du navigateur lorsque le contenu affiché outrepasse les limites de ladite fenêtre.
- Un idéal qui me semble pouvoir être rapproché d’une autre remarque d’André Gunthert : « Ainsi que de nombreuses observations collectées sur Culture Visuelle permettent de l’établir, l’image, en combinaison avec l’intitulé textuel, fait aujourd’hui bien souvent fonction de titre visuel ». « L’essor de l’orientation visuelle dans la presse en ligne », L’atelier des icônes, 27 septembre 2010.
- D’autres pistes pourraient être explorées davantage, notamment l’alignement avec les formats les plus courants de la publicité en ligne. Toutefois, ces formats publicitaires me semblent surtout pris en compte pour déterminer la largeur des colonnes structurant telle ou telle page.
- Cependant, dès qu’il y a au moins deux personnes sur l’image et que les visages sont à peu près la même hauteur, un format horizontal se montre avantageux.